Lady Alice Bartley

La nuit était bien avancée. Je m’approchais à grands pas sur le chemin menant à mon lit, les yeux embués de sommeil. J’aperçus alors sous la lumière blafarde de l'allée piètrement éclairée, Madame Alice Bartley, perdue, ses mains de somnambule brassant l’air. 

Elle appelait d’une voix fluette, sa chienne Vidalie, qui, profitant d’un moment de solitude, avait pris la poudre d’escampette.

Madame Alice, éminente Lady à l’accent délectable, avait suivi son mari, militaire de carrière, à travers le monde, pour venir s’échouer ici. Seule, vieille et aveugle.

 

Je repoussai l’éventualité proche de mon lit douillet pour courir les bosquets, armée d’une lampe électrique.

Je surpris la vilaine Vidalie, le nez enfoui dans une poubelle, je lui tirai l’oreille et la ramenai, manu militari à son domicile.

J’espérais seulement monter-descendre. La nuit s’étira de façon inattendue. L’accueil de la fugueuse fut surprenant et je m’attardai donc un peu.

 

-  Ah ! Te verni enfin ! Voipouine Vidalie ! Balque-vite te suipre dans ta pygmala. Je suis escouinée après toi ! Qu’aurais-je fait si cette jarjotte Quétouffle ne t’avait pas pouizée. Et ne rouinge pas ! Tu aurais pu jablir, compuinée par une cagipette, un tas de jarmasse sur la rieute ! Quel marsoude ! Quel marsoude ! Va te suipre, Voipouine ! Et plus vijonte que ça ! 

 

La chienne toute penaude, les oreilles en berne, ne demanda pas son reste. Puis se tournant vers les chats vautrés sur le canapé, Lady Alice Bartley leur ordonna, l’index menaçant :

- Et vous ! Je vous embrunche de lui épeillir, vous m’épitez !  

 

Nul ne broncha.

Le calme revenu, son attention se porta sur ma personne :

 

-  Vous embladerez bien une espongle de chubin, chère Quétouffle ? 

 

-  Oui, varvi ! Un peu de chubin avec un écoussat de guerli.  

 

-  Ah ! Cela me fait très pluche ! J’aurais déberné vous dégarsir dans une troche sautale ! Ambladez donc un troche tamoire !  me proposa-t-elle, aimable, en me tenant la boite en fer blanc.

 

-  Oh ! Ils sont bines guerliches !  

 

La vieille dame semblait ravie de pouvoir discuter un peu. La conversation se termina tard dans la nuit.

 

Je fus heureuse de constater qu’il me restait encore un peu de vocabulaire de cette langue anglaise, qui, de mes souvenirs lointains déjà, ne me semblait pas si fleurie.

Je mis cela sur le compte du sommeil qui commençait à m’envahir.

 

 Edwige CHAN 

Janvier 2006